17.4.08

Etude de cas libertarienne

L'intérêt du libertarisme comme théorie éthique et politique est qu'il permet de trancher la plupart des conflits entre personnes sur la base unique du principe de non agression, de la propriété de soi-même et du critère de consentement.

Prenons au hasard un fait divers (j'aurais pu aussi bien choisir les projets idiots du gouvernement sur l'anorexie, les OGM, les atteintes continuelles à la liberté d'expression dans ce pays, etc).
DISCRIMINATION.
Privé d'un jeu télé parce qu'il s'appelle Islam

mercredi 16 avril 2008 | Le Parisien

Il était en lice pour participer au jeu « In ze boîte » de la chaîne Gulli. Mais il a été recalé à cause de son prénom, jugé trop religieux. Les parents d'Islam, 9 ans, ont décidé de porter plainte. Fadela Amara se dit scandalisée par cette affaire.
(...)
Une dame nous a dit : Il y a un problème, votre fils ne peut pas garder son prénom. S'appeler Islam, pour un garçon, c'est comme porter un voile pour une fille. Son collègue a ajouté qu'il représentait une religion qui n'est pas aimée par les Français.
Le point de vue libertarien est facile à établir. Il est crucial de distinguer entre l'aspect éthique et l'aspect juridique. Les plus grandes injustices se produisent quand on confond les deux, une éthique arbitraire s'imposant abusivement au nom de principes discutables appliqués sans discernement par l'Etat.

Premier point de vue : l'aspect éthique. Il s'agit bien dans le cas qui nous occupe d'une discrimination, et ce n'est pas forcément très intelligent ni très moral de la part de la chaîne Gulli (notons au passage le jugement idiot de type collectiviste "les Français n'aiment pas cette religion"). Mais l'aspect éthique est toujours subjectif. Dans certains pays musulmans, ce pourrait être les "Christian" ou les "David" qui seraient discriminés de la même façon sans que personne ne trouve à y redire.

Deuxième point de vue qui vient amender le premier : l'aspect juridique (selon le jusnaturalisme libertarien) : oui, mais la chaîne Gulli est maîtresse chez elle et choisit qui elle veut pour participer aux jeux qu'elle organise.

Tout le monde discrimine tout le temps : je vais chez tel commerçant plutôt que tel autre, je fréquente telles personnes plutôt que telles autres, etc. Le droit de propriété (de soi-même ou non), c'est d'abord le droit d'exclure. Interdire la discrimination, c'est porter atteinte à la propriété d'autrui.

Il y aurait exception si la chaîne s'était engagée à admettre des candidats sur des critères objectifs bien spécifiés au départ, et qu'elle n'ait pas respecté ce "contrat". Je doute que ce soit le cas.

Troisième point de vue : la chaîne n'a donc pas enfreint le principe de non agression. Fondée à exercer son légitime droit de propriété, elle a agi dans son droit (notons que s'il s'était agi d'une chaîne publique, on pourrait aboutir à des conclusions différentes, car la "propriété publique" est au mieux une notion vague, au pire une fiction masquant un vol, le "public" c'est à dire le peuple étant dans les faits complètement dépossédé au profit des fonctionnaires).

Toute intervention publique au nom de la loi ("la force injuste de la loi") pour "rectifier" la situation ou punir les protagonistes (Gulli) est donc illégitime et esclavagiste. Porter plainte est parfaitement déplacé (sauf si une agression ou la violation d'un contrat peuvent être prouvées). Il s'agit seulement de profiter de lois aberrantes pour exercer une vengeance privée ou monter en épingle et soumettre à l'opprobre générale une action qu'on désapprouve.

Cela ne veut pas dire pour autant que les gens blessés par la décision de Gulli soient sans recours. Ils peuvent toujours exprimer leur indignation à ce sujet et aller jusqu'à organiser un boycott de la chaîne (c'est-à-dire une discrimination en retour).

Voilà donc à quoi on aboutirait dans une société "normale", pas gangrenée par le paternalisme d'Etat et les idioties étatiques juspositivistes, qui instaurent la guerre civile dans la société (en inversant Clausewitz on pourrait dire que la politique est la continuation de la guerre par d'autres moyens).

Petit bémol cependant en faveur du juspositivisme : dans une société anarcho-capitaliste à la David Friedman, divers systèmes juridiques pourraient coexister, et les décisions varieraient selon le système auquel vous adhèreriez (de même qu'actuellement certaines actions constituent des délits dans un pays mais pas dans un autre). Cependant, le cas où vous et votre adversaire adhéreriez à des systèmes juridiques contradictoires pourrait se produire, et c'est là que les arguments jusnaturalistes (principe de non agression) retrouveraient à mon avis toute leur valeur, comme une base objective rationnelle, un minimum juridique exigible.

Moi, une intégriste du libertarisme ? Mais non, il s'agit juste d'une petite divagation juridique...

5 commentaires:

Nico a dit...

Bravo !
Enfin de la pédagogie, sur un cas concret, pour expliquer la pensée libertarienne, que j'avoue avoir du mal à saisir par moment, tant le dogme et la colère efface (trop souvent) le pragmatisme de ce courant.
Je viens régulièrement sur ce blog, parce que j'adhère à fond sur le fond, et je suis parfois un peu déçu parce que l'argumentation tourne assez rapidement et systématiquement au dénigrement et au dogmatique. J'admet qu'il doit être rageant de se battre sur ces sujets de fond complexes, sans avoir l'impression d'être entendu, mais je crois qu'un peu de pédagogie sur la sécu (et vous en avez largement les moyens !) ne ferait pas de mal (et ce n'est pas une raison pour arrêter les dessins libertariens qui sont excellents !).
Là, en tout cas, c'est parfait et je vais savoir relayer ce genre d'argumentation.

Alexis a dit...

Brillant ! Bravo !

BLOmiG a dit...

salut,
merci pour cette étude de cas intéressante. J'avais écrit un billet il y a peu pour dire que la discrimination est un acte de l'intelligence, et que vouloir systématiquement la condamner est stérile (le seul endroit où elle est condamnable est dans le traitement des citoynes pas l'Etat : ils doivent tous être traité de la même manière).

Juste un mot pour finir ; Gulli est propriétaire de ses programmes. Mais cela ne doit pas nous empêcher de dire que si la discrimination contre Islam est légitime, leur attitude n'en reste pas moins celle de gros c....

Pour ma part, je ne regarde pas la télé. Mais je sais que je ne regarderai peut-être pas Gulli à l'avenir.

à bientôt !

mordicus a dit...

"Dans une société anarcho-capitaliste à la David Friedman, divers systèmes juridiques pourraient coexister, et les décisions varieraient selon le système auquel vous adhèreriez"


La logique ultime de cette conception de l'organisation sociale étant d'avoir un système juridique propre par individu. Nous aurions ainsi le plaisir de vivre dans un paradis d'autistes.

Laure Allibert a dit...

Ne dites pas de bêtises, et lisez d'abord l'article qui y est consacré, ici. La justice repose aussi sur la force, et les criminels ne trouveront pas une force qui soutienne leurs principes juridiques, si je peux employer ce terme parlant de criminels.